Comme prévu, rien au programme puisque c’est dimanche. Je me lève avec les cheveux en trompette et
je décide de plonger dans ma piscine pour mater mon hairdo et infuser mon corps
endolori. Le chat Pouf-Pouf promène sa
peluche jaune avec lenteur, coulé dans sa fatigue matinale. Lui va se coucher et moi je m’apprête à
attaquer. Après ma baignade, je déjeune, je vaque et je slaque…et pour un
deuxième café, je craque.
Moment
parfait, le soleil décide de prendre un break des nuages et darde quelques
rayons encourageants. La lumière m’interpelle et je décide d’aller faire un
petit jogging peinard en écoutant des vieux hits pour accorder mes foulées sur
des accords qui me rappelle mon jeune temps, jadis, lorsque j’avais les cheveux
frisés comme un épagneul et que j’étais
mal dans ma peau, pourtant veloutée. C’était il y a plus de 30 ans.
Je boucle la boucle du footing matinal – une expression
rapportée de mon année à Strasbourg, Footing, c’est chic! – et je me mets sur
mon 36 pour un brunch en famille. J’en jette avec ma robe à 10 dollars du
Village des Valeurs. Je sens mon égo qui pousse comme une auréole au dessus de
ma tête!
J’aime les dimanches lorsqu’ils
sont…endimanchés. C’est le 60e anniversaire de mariage de tante
Laurette et oncle Léopold. 60 ANS! Fuck!
Ils ont l’air de tourtereaux, deux élégants oiseaux bien assortis.
Je les regarde, fascinée par la fraîcheur de leur longévité et je me rassure en me disant que je suis sur la bonne voie, en lice pour obtenir le
prix Endurance avec mes 22 ans d’amour parfois grinçant avec Chéri.
Après trois cafés, une assiette de tout et de rien (c’est un
vrai buffet!) et un bol de baies hallucinantes, je règle l’addition. 40 bâtons pour un brunch sans mimosa, c’est
quand même étonnant. Je repart direction
home sweet home avec le sourire, contente d’avoir revu mes cousines tout en me
demandant pourquoi on ne se fait pas des soupers de filles plus souvent. Je réalise que je m’ennuie de mes cousines et
de ma famille en général. En partant, je
serre un peu plus longuement tante Pauline dans mes bras puisque c’est celle
qui, dans ma lignée maternelle, a eu le cancer du sein comme moi. Ma tante et moi, on est sœur de sein.
En arrivant à la maison, ma plus jeune jongle avec la courte
liste des items à apporter pour son camp d’équitation. Puuuuuuurée! Je dois
aller la reconduire à Sainte-Croix de Lotbinière. Mon œuf bénédictine est comme un poing dans
mon estomac. Je lui pousse deux ou trois
fringues dans sa valise, des must dont elle ne pourra se passer pour la prochaine semaine, et
je pars me blottir pour une micro-sieste sur un divan que j’ai sorti
dehors. J’en avais un de trop dans la
maison et j’ai planqué cette chose en simili-cuir sous un abri de jardin. Je me
suis félicitée d’une telle économie lorsque je suis tombée à moitié endormie
sur cette hideuse pièce de mobilier acheté à la va-vite chez Brick. Comme pour me convaincre que le bonheur
existe, la pluie s’est mise à marteler le toit de tôle de l’abri. Dieu existe les dimanches en fin d’après-midi.
Princesse des îles a bien fait le boulot : elle a planqué la moitié de son foutoir dans des lieux inusités de sa chambre. Le ménage est au poil et ses
bagages sont prêts. On prend la
direction de l’autoroute 30, cap sur l’est.
C’est le bout d’autoroute le plus chiant du Québec. Un embryon de highway à deux voies qui meurt au bout de
10 kilomètres et vous renvoie sur une route de campagne, la mythique 132. Comme
par magie, la route devient un tableau de couleurs saturées sous la combinaison du soleil
de fin de journée et du ciel menaçant sur la rive nord. Une grange rouge sang de bœuf, un champ blond
comme les cheveux du petit prince, des chevaux ébouriffant leur crinière comme
dans une pub de shampoing, des kiosques de légumes avec une variété en
prismacolor.
« Wow, regarde là-bas!
T’as vu ça? Comment ça se fait qu’on ne vient jamais ici? » Je
pointe d’un doigt et tiens le volant de l’autre. Regarde ceci, apprécie cela…des ordres à ma
fille et une façon de me pincer devant la beauté de ce paysage qui diffuse une
grâce brûlante sous les rayons obliques et l'orage qui monte.
Je me sens privilégiée d’être là au moment où le temps fait des
caprices. Les arc-en-ciel nous surprennent à un point tel où je pousse un cri
devant le spectacle flamboyant qui défile. Je n’espérais
pas tant d’une promenade en char le dimanche.
Nous arrivons à Sainte-Croix et les nuages nous ont rattrapées. Princesse des îles prend possession de sa chambre. Son visage s’illumine lorsqu’on lui dit
qu’elle monte ce soir pour évaluer son niveau de compétence…Pour la
deuxième fois, je vois un arc-en –ciel mais celui-là est dans son regard.
En revenant, les planètes s'alignent à nouveau. Je pianote pour trouver un poste à la radio. La musique s'impose d’elle-même.
Les nuages prennent part à la partition avec grâce dans une interprétation dramatique. Du bleu électrique fondant
vers les gris sombres…Je me fais violence pour rester prudente au
volant. Happée par la beauté mouvante du ciel flottant au dessus de la 132, je roule avec un demi-sourire imprimé sur mes lèvres.
L’aller-retour TR/Sainte-Croix m’a fait prendre de bonnes
résolutions : ne jamais oublier que la beauté est partout. Partout. Attention de ne pas s’y perdre…